lundi 20 novembre 2017

Debriefing psychologique : histoire et perspectives

Les attaques terroristes qui frappent notre pays depuis quelques années ont (re)mis en lumière une pratique qui existe en fait depuis longtemps : le débriefing psychologique, dispositif destiné aux personnes ayant vécu un événement potentiellement traumatisant.

Le terme debriefing vient de l'anglais, et plus précisément de l'anglais miliaire : il signifie compte-rendu ou rapport de fin de mission. En français débriefer veut dire interroger quelqu'un à fond. Debriefing désigne une réunion de travail qui a lieu après une mission, un événement, pour en tirer les enseignements (Dictionnaire le Robert).

Si le terme est apparu pendant la Seconde Guerre Mondiale, les soins d'urgence aux personnes traumatisées psychiques ont probablement existé dès la guerre de Sécession aux Etats-Unis et se sont considérablement développés pendant la Première Guerre Mondiale puis pendant la Deuxième. L'histoire du debriefing psychologique s'ancre donc en milieu militaire et il n'est sans doute pas inutile de rappeler qu'à l'origine les soins aux soldats traumatisés psychiques avaient comme objectif de les ramener au front le plus vite possible... Les soldats étaient ainsi pris en charge à proximité des combats, où ils pouvaient entendre le bruit des combats ! Il s'agissait avant tout de les convaincre que leurs réactions post-traumatiques étaient normales, qu'elles allaient passer et qu'ils pouvaient donc retourner au combat.
Actuellement dans l'esprit du grand public, et cela recoupe sans doute une partie des dispositifs mis en place en cas de catastrophe ou d'événement à potentiel traumatique, le debriefing correspond à une mise en récit de ce qui s'est passé, mise en récit effectué auprès d'un professionnel "psy" (psychiatre, psychologue, infirmier psy) et ce dans les quelques jours qui suivent l'événement. L'idée est que ce type de mise en mots permettrait en quelque sorte de décharger la charge émotionnelle et traumatique liée à l’événement et aurait un rôle de prévention dans l'apparition de troubles psychiques ultérieurs (dont les ESPT - état de stress post-traumatique).
Ce type de récit, dit abréactif, a été initialement développé comme méthode de soin par l'armée américaine pendant la Deuxième Guerre Mondiale sur le front asiatique. Le soldat est alors incité à relater dans ses moindres détails l’événement potentiellement traumatique : qu'a-t-il vécu, pensé, ressenti, fait ? Ces pratiques vont peu à peu être protocolisées (élaboration de questionnaires détaillés) et étendues dans les années 70 et 80 à la prise en charge de victimes civiles de catastrophes et d'accidents. Elles vont être introduites en France dans les années 80 par des psychiatres militaires (Louis Crocq notamment) et mener à la création des CUMP (Cellule d'Urgence Médico-Psychologique) après l'attente du RER Saint Michel en 1995...

... Alors même que leur intérêt clinique commence à être débattu et remis en cause. Plusieurs méta-analyses, c'est-à-dire des recherches qui regroupent elles-mêmes plusieurs études et donc plusieurs milliers de patients, montrent que les debriefings ainsi conduits sont inefficaces.
Aujourd’hui  les spécialistes (qui interviennent notamment dans le champ humanitaire) s'accordent à dire que, plutôt que de solliciter un récit des personnes touchées par un événement potentiellement traumatique, il est important de procurer aux personnes un sentiment de sécurité, de les calmer, de les amener à retrouver un sentiment d'efficacité, de lien à autrui et de l'espoir (1) ; soit en définitive de les apaiser dans l'ici et maintenant et les orienter vers l'avenir.
Il ne s'agit pas bien sûr d'empêcher la personne de relater ce qu'elle a vécu si elle le fait spontanément mais de respecter ses défenses en ne l'incitant pas à le faire. Il semble que le plus important est d'assurer aux personnes un environnement sécurisant et une présence humaine, soit par exemple offrir une couverture et un café...  Ce qui est à la portée de n'importe qui et ne nécessite aucun expert "psy" !

Que proposer alors en termes d'intervention psychologique quand les personnes en font la demande ou expriment le besoin de parler ? Si revenir en détail sur l’événement potentiellement traumatique dans la phase de stress aigu (les 3 semaines qui suivent l’événement) au détriment des défenses singulières des personnes semble iatrogène, il existe d'autres formes de débriefing, dont  le débriefing dit centré compétences qui encourage la ou les personne(s) à se centrer rapidement sur leurs besoins (à court, moyen, long terme) et sur ceux de leur communauté (selon les cas : famille, équipe, etc.). Je le pratique depuis j'y suis formée et j'avoue être étonnée de ses effets positifs sur la résilience des personnes et la restauration des liens au sein des équipes de professionnels dans lesquelles j'interviens.

1. Hobfoll S.E. et al. (2007). Five Essential Elements of Immediate and Mid-Term Mass Trauma Intervention : Empirical Evidence. Psychiatry 70(4), pp. 283-315

A lire sur l'histoire du debriefing : Trauma et narcissisme de Sandrine Behagbel. PUF, 2010.

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